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Masters of Ink | Introduction | CatalogueMAITRES DE L'ENCRE
masters of ink
MUSÉE DE PONTOISEPreface
Lencre de Chine est ancienne, opaque et noire mais donne ses « mille couleurs » à leau transparente puis sagrippe aux pores du papier comme lunique preuve de son passage, fine, légère et difficile à maîtriser, elle convient à lartiste solitaire pour la capture de ses impressions, elle communique lesprit du peintre au spectateur qui se laisse emporter.
Peinture et écriture ont en Chine des origines communes, les premiers caractères représentaient ce quils voulaient désigner et jusquà une époque récente certains peintres disaient avoir « écrit » un paysage ou un oiseau posé sur un rocher. Pour les lettrés, calligraphie et peinture, toutes deux habitées dun sens inséparable de leur forme, suscitaient des passions équivalentes. Cet art traditionnel nous séduit mais peut nous apparaître inaccessible tant ses conventions et ses intentions nous sont étrangères.
A la fin du XIXe siècle, cette tradition se figea en une forme pétrifiée au moment où en France lacadémie prétendait décider des sujets de la peinture. Ces deux pôles, ces deux universalités traversèrent à cette époque des crises parallèles, pourtant cest en Europe que lidée de « modernité » fit son apparition. Elle apporta comme lécrivit Kandinsky une « joie de vivre irrésistible, victoire constante dune nouvelle valeur ». Au même moment, la révolution apportait aux jeunes artistes de la Chine la perspective dun renouvellement, dune transformation. Certains viendront en Europe au cours des années 20, dautres après la deuxième guerre mondiale.
Quelques années plus tard, on fondera en Europe et aux Etats-Unis les premiers musées dart moderne pour collectionner lart du présent, vivante et véritable expression du temps et différente de tout ce qui la précédait. Une expression nourrie de « primitif » mais aussi des peintures et des philosophies de lextrême orient. Ces influences continueront à se conjuguer en une petite musique jouée dans le secret des ateliers.
Une correspondance de pensées a depuis longtemps existé entre les esprits de lEurope et ceux de lAsie, une correspondance intime, enfouie dans lHistoire et les académismes : de Shitao qui déchiffrait « les secrets sombres des nuages et des brumes » à Cézanne qui voulait « transmettre un extrait du visible », de la conception classique chinoise considérant le manque de précautions comme la meilleure attitude artistique, à Henri Michaux qui voyait dans la dissolution des formes un préalable à toute création, oiseau phnix renaissant de son vide.
Un traité de lépoque Song comparait des rangées darbres à des bras étirés aux doigts étendus et Léonard de Vinci voyait dans les pierres des vieux murs de divins paysages de montagnes, bois et plaines.
Les peintres ici exposés représentent trois approches différentes de lencre de Chine au XXe siècle. Dans un premier temps, Chang Dai-Chien fut considéré comme un grand maître de la tradition qui possédait une extrême maîtrise du pinceau. Il copia et imita les anciens maîtres, mais au-delà de sa virtuosité, Chang sut renouveler la tradition des lettrés comme personne avant lui. Il voyagea dans le monde entier et rencontra Picasso à qui il offrit un pinceau utilisé plus tard pour une lithographie. Chang Dai-Chien connaissait bien lart occidental mais jamais ne sessaya ni à ses sujets, ni à ses médiums. Dailleurs où quil soit, au Brésil ou aux Etats-Unis, il reconstituait son monde, entouré de ses objets et remodelant son jardin à la manière chinoise. Au début des années 60, et peut-être motivé par lévolution de lart occidental, il abandonna le pur style guohua de peinture aux contours tracés pour revenir au da xieyi, peinture à lencre dexpression personnelle, puis développer un style plus expressif dencre éclaboussée qui existait déjà sous la dynastie des Tang. On peut voir que lencre et les couleurs sont librement répandues sur le papier et sont ensuite retravaillées pour faire naître un paysage. Loiseau sur le rocher nexiste que par les quelques touches qui le dégagent de la pierre, à moins quelles ne le prolongent comme une parure.
Zao Wou-Ki est de ceux qui prirent le départ. Il arriva à Paris en 1948 et sintégra très vite au monde lart. Il devint lami dHenri Michaux, peintre des « mouvements », pictogrammes abstraits qui « laidaient à se dégager du verbal » et qui réalisa quelques paysages à lencre à lépoque de la parution de son livre Un barbare en Asie.
Devenu lun des membres éminents de labstraction lyrique, Zao Wou-Ki pratiqua peu lencre bien quil sy soit régulièrement adonné. Malgré quelques expositions récentes, les encres de Zao Wou-Ki constituent la part la moins connue de son uvre.
Sur une feuille de papier lisse ou filigranée, il applique lencre au moyen du pinceau rond et en varie les nuances. Encre « sèche » dense et noire ou bien lavis transparent, quelques taches, quelques traits complètent la composition, ils créent non pas un paysage mais suscitent les sensations. Ne rien montrer didentifiable, abstraire dabord pour soi, lhumeur commande, puis pour le regard qui accomplira luvre, regard conscient dune histoire, celle du peintre et de sa culture.
Il y a quelques années, un commentaire sur luvre de Soulages, lecteur assidu des « propos sur la peinture » de Shitao, revenait sur lidée dune abstraction constitutive de la réalité en voyant dans ses peintures les hachures mille fois amplifiées des gravures de Le Lorrain.
Zao Wou-Ki se défend de vouloir renouer avec la tradition, il sest dégagé delle mais reconnaît quelle fait partie de son univers. Ses encres la contiennent.
Tang Haywen vient à Paris en 1948 pour y étudier la médecine. Passant ses journées dans les galeries et les musées, il décide de devenir peintre et sinitie à la peinture à lhuile. Bien quil lutilise avec une grande aisance, il comprend vite quelle ne correspond pas à sa nature profonde. Il devient pauvre, mais passe le plus clair de son temps dans lexercice de sa liberté, à peindre, voyager et rencontrer des gens.
Il fait le choix de lencre et des couleurs à leau travaillées le plus souvent sous la forme de diptyques, développe son style à partir de la calligraphie, approfondit et amplifie sa vision, autant dans sa vie que dans sa peinture, de lespace qui est son motif.
Pas de carrière mais des rencontres, celle de Balthus, pour qui les encres de Tang « démontrent lesprit de la Chine » ou de Nane Stern, qui lexposa régulièrement. Tang veut se fondre dans la nature, sans compromis, il peint dabord pour lui-même, comme il respire, samuse et se satisfaisait de ce que lon voit dans ses uvres. Il saffirme chinois et libre de tout académisme; on ne peut, quand on peint et quand on vit comme cela, penser à la synthèse des arts. Il peint comme il respire accordant à sa main le pouvoir dun égarement magique.
Le chef-duvre le plus souvent se dégage des implications sociales même si parfois il y trouve un prétexte ; il est une affirmation solitaire indifférente aux limites de ce qui est devenu, à lépoque contemporaine, une idéologie. Serait-il vain despérer que le moderne retrouve, en partie grâce à lencre, la fraîcheur de sa naissance.
Philippe Koutouzis
New York, septembre 1999
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